Colonnes d'Hercule
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Les colonnes d'Hercule est le nom que l'on donnait dans l'Antiquité romaine aux falaises qui bordaient le détroit de Gibraltar de part et d' autre. Il s'agit du Rocher de Gibraltar (Calpe en latin) au nord sur la côte européenne et du mont Abyle (Mons Abyla), aujourd'hui Djebel Musa du côté de Ceuta au sud sur la côte africaine.
[modifier] Formation
Les Colonnes ont reçu leur nom d'un des douze travaux d'Héraclès, et plus particulièrement celui durant lequel il dût récupérer les bœufs de Géryon, roi d'Ibérie, pour les ramener à Euysthée qui les offrit à Héra en sacrifice.
[modifier] Une localisation erratique
La localisation des Colonnes d'Héraclès puis d'Hercule dans l'antiquité sera variée, erratique, suivant l'expansion formidable du monde gréco-romain. Malgré ces localisations variées, la signification des colonnes est resté stable: elles ont marqué, où qu'elles soient, la frontière du monde civilisé et d'un monde inconnu ou dangereux. Ainsi Homère parle de la mer Noire comme d'un "apeiron", un espace sans limites définies. Apollonios de Rhodes parlait de "la mer qui glace d'effroi" pour parler de la mer au delà des colonnes, et les grecs appelaient la mer Noire "Pontos Axinos" (la mer inamicale).
[modifier] La situation archaïque des Colonnes : le Bosphore
Héraclès le héros archaïque Héraclès est initialement un héros purement grec et spécialement dorien. Les Doriens, envahisseurs du Péloponnèse arrivés des bords de la mer Noire vers -1100 av. J.-C., sont souvent appelés Héraclides, «fils d’Héraclès». Dans l'Iliade (8° s. av. J.-C.), Héraclès est présenté comme un personnage historique des temps passés; Ulysse, parlant de lui dans l'Odyssée, le qualifie de "héros ancien": ainsi, Héraclès vient de la mémoire la plus ancienne de la Grèce. Un ensemble de traditions rattachent Héraclès à la mer Noire: Pindare (-520; -445 av. J.-C.) indique que Héraclès a vu lui-même le jour en Hyperborée, autrement dit au nord de la Cimmérie antique, c'est à dire au coeur de l'Ukraine actuelle. Héraclès est aussi celui qui délivra Prométhée, enchaîné sur le mont Caucase sur l’ordre de Zeus. Nous sommes bien encore ici aux abords de la mer Noire. Les Grecs fondèrent l’Héraclée Pontique dès le VIIe s. av. J.-C. sur les rives sud de la mer Noire. Dans la Grèce archaïque,les colonnes sont situées au Bosphore: Selon Strabon, (Geographie I-2-10), les Grecs au temps d’Homère considéraient que ceux qui naviguaient sur le Pont-Euxin avaient franchi les colonnes d’Héraclès: "Simplement on [les Grecs du temps d'Homère] imaginait alors la mer Pontique comme un autre océan, et l'on croyait que ceux qui y naviguaient s'éloignaient de toute terre habitée, mais aussi qu'ils s'avançaient bien au-delà des Colonnes d'Héraclès. Il est vrai qu'elle était considérée comme la plus grande des mers connues de nous."
[modifier] La géographie du monde selon Hésiode
L’extension du monde connu des grecs au 8° siècle est lisible chez Hésiode, (8° - 7° siècle) dans sa Théogonie, où il relate la création du monde:
«Téthys à Océan enfanta les fleuves tourbillonnants: Nil, Alphée, Éridan aux tourbillons profonds, Strymon, Méandre, Istros aux belles eaux courantes, Phase, Rhésos, Achéloos aux tourbillons d'argent, Nessos, Rhodios, Halliacmon, Heptaporos, Grénicos, Aisepos, le divin Simoïs, Pénée, Hermos, et Caïque au beau cours, le grand Sangarios, Ladon, Parthénios, Événos, Ardescos et le divin Scamandre.»
Parmi ces 25 fleuves et mis à part le Nil:
- 7 fleuves sont grecs: Alphée, Strymon, Acheloos, Halliacmon, Pénée, Ladon, Evenos;
- 7 fleuves sont troyens: Rhesos, Rhodios, Heptaporos, Grenicos, Aisepos, Simoïs, Scamandre, (ils descendent du mont Ida, indique Homère dans l’Iliade);
- 5 autres fleuves sont eux aussi en Asie Mineure: les Méandre, Hermos, Sangarios, Caïque, Parthenios;
- 2 fleuves se jettent dans le Pont Euxin: le Phase (au pied du Caucase), et l’Istros (Danube);
- 2 sont de localisation plus incertaine: l’Eridan (selon Virgile, près de la Mer Tyrrhénienne et des Alpes, identifié couramment comme le Pô) et le Nessos (peut être près du fleuve Acheloos);
- La localisation d'un au moins semble avoir été perdue : Ardescos.
Ce texte montre combien le monde connu des grecs avant le 8° siècle était limité au bassin méditerranéen oriental et à la mer Noire. Nous sommes dans tous les cas bien loin de Gibraltar et des colonnes d’Hercule modernes.
Si l’essentiel de l’activité d’Héraclès se déroule en Grèce même (série des 6 premiers travaux, dit du Péloponnèse), trois autres ont pu se dérouler du côté de la mer Noire :
- De façon constante, au moins les 8° et 9° travaux: des juments de Diomède en Thrace, et de la ceinture d’or de la reine des Amazones sur la côte sud de la mer Noire.
- Mais le 10° aussi, si l’on en croit Palaiphatos, qui dans ses Histoires Extraordinaires –24 [12], indique vers -330 av. J.-C. que Geryon habitait une ville du Pont-Euxin appelée Tricarénie, (alors que la tradition romaine des Travaux d’Hercule situera finalement Geryon en Andalousie).
- Ainsi que le 11° des Travaux si l’on en croit Pseudo-Apollodore.
Au VIIe siècle avant J.-C., vers -637 la tradition fait état du voyage du marchand et armateur Côlaios de Samos emporté par une tempête au-delà des colonnes de Briarée qui le conduit au royaume d'Arganthonios de Tartessos (dans le golfe du Guadalquivir).
[modifier] Hérodote et les colonnes d'Héraclès
Au Ve siècle avant J.C, le monde grec s'est étendu jusqu'en Cyrénaïque et en Sicile; au-delà régnaient en maîtres sur le bassin occidental de la Méditerranée les grands ennemis des Grecs, les Carthaginois; et Hérodote, qui a voyagé à cette époque dans tout l'est du bassin méditerranéen n'a pu voyager au delà de la Sicile; et avec lui, les colonnes d'Héraclès ont migré à l'ouest de Carthage. Hérodote(-484, -425 av. J.-C.) dans ses Histoires IV- 9, IV-42-43 et 185, montre la cohabitation à son époque de deux versions géographiques des Colonnes: Pontique et Libyenne.
- Selon la version pontique (Histoires IV-9), qui apparaît comme la version archaïque, l’Océan n’est encore ni Atlantique, ni occidental; il est encore l’anneau qui cerne l’univers: «Les Grecs qui habitent le Pont présentent les choses comme il suit: Héraclès, poussant devant lui les vaches de Géryon, serait arrivé sur cette terre, déserte alors, que les Scythes habitent aujourd'hui. Géryon, disent-ils, habitait hors du Pont, il avait sa demeure dans l'île que les Grecs appellent Erythée, île située tout contre Gadeira, en dehors des Colonnes d'Héraclès, près des rives de l'Océan. Lequel Océan, prétendent-ils, mais sans le démontrer par les réalités, aurait sa source aux lieux où le soleil se lève, et coulerait autour de la terre toute entière.»
- Dans sa version lybienne, les Colonnes sont à l’Ouest, tout du moins à l’ouest de Carthage. Hérodote montre en même temps l'extension à l'Ouest de la culture grecque et décrit l'assimilation à son époque des différents panthéons des peuples de la Méditerranée, et notamment l’assimilation de l’Héraclès Grec au Merkath Phénicien et au Khonsou Egyptien.
[modifier] Platon et les colonnes d'Héraclès
Platon (-427, -347 av. J.-C.) a ainsi connu, au minimum à travers les textes d'Hérodote, les deux traditions, archaïque et occidentale, des Colonnes d’Héraclès. Familier des textes d'Hérodote, il l'était aussi des mythes archaïques, qui constituaient alors le socle éducatif des Grecs et dont il a défendu ardemment l'importance. Platon, dans le Timée, décrit ainsi le site des colonnes d’Héraklès tel que vu par un prêtre égyptien :" Nos livres racontent comment Athènes détruisit une puissante armée qui, partie de l'Océan Atlantique, envahissait insolemment et l'Europe et l'Asie. Car, alors, on pouvait traverser cet océan. Il s'y trouvait en effet une île, située en face du détroit que vous appelez dans votre langue L'Océan est ici devenu Atlantique, mais 2 auteurs rattachent la racine "Atlas" au Nord de la Grèce : Pseudo-Apollodore relate dans sa Bibliothèque, (II-5 –11 ) comment « Eurysthée/…/ imposa encore un travail à Héraclès, le onzième : le héros devrait lui apporter les pommes d'or du jardin des Hespérides. Ce dernier se trouvait, non comme certains l'ont dit, en Libye, mais bien sur le mont Atlas, au pays des Hyperboréens.» et dans Bibliothèque, 2.119-120 « Lorsque Héraclès rejoignit Atlas chez les Hyperboréens, … » Apollonios de Rhodes, (Alexandrie, v. 295 - v. 230 av. J.-C.) dans ses Argonautiques (Ch.I, 914-917), indique que les Argonautes, en route pour la Crimée où se trouvait la Toison d’Or, et avant de pénétrer en mer Noire, « le soir, sur l’ordre d’Orphée, [..] abordèrent à l’île de l’Atlantide Electra pour connaître, par d’étonnantes initiations, les rites qui leur permettraient de naviguer avec sûreté sur la mer qui glace d’effroi.» Le Timée renvoie ainsi probablement les colonnes d'Héraclès à son positionnement de la tradition Pontique, au Bosphore, et pas encore au site moderne de Gibraltar, encore inconnu des Grecs du temps de Platon.
[modifier] Gibraltar et les colonnes d'Hercule
Les Carthaginois interdisent longtemps le bassin ouest de la Méditerranée: ils tiennent la côte du Maghreb, les côtes du sud de l'Espagne et et les îles Baléares. Ce n’est que bien après Hérodote, que les Grecs pourront découvrir le détroit Gibraltar et le franchiront: la première expédition maritime grecque au delà de Gibraltar relatée par des textes grecs, celle de Pythéas, ne se déroule que vers -330 av. J.-C., après la mort de Platon. La gloire du héros Héraclès s'est répandue dans le monde grec puis romain, où des villes nommées Héraclée sont localisées sur la mer Noire, en Sicile, en Thrace, en Cilicie, en Ionie, en Palestine. Les colonnes d'Héraclès, devenues d'Hercule avec les romains, se positionnent aux frontières du monde romain, à Gibraltar. Selon Aristote, les colonnes connues à la fin du IIe s. ap. J.-C., début du IIIe s. ap. J.-C., sous le nom d'Hercule, portèrent d'abord celui de Briarée (cf. Élien).
[modifier] Les colonnes et les mythes modernes
En dehors de la réalité géographique mentionnée par les auteurs anciens, la localisation des colonnes d'Hercule relève également du mythe ; elles ont pu être situées selon différentes traditions, souvent ésotériques, en différents lieux selon les mythes qu'elles rejoignent. Elles ont nourri l'imaginaire des populations modernes. Nombre de théories ont fleuri, comme celle faisant des dites colonnes d'immenses conduites forcées, destinées à produire l'énergie électrique nécessaire à la fabrication de l'Orichalque (Aluminium), faisant la richesse des Atlantes. Certains leur ont attribué une origine hittite, d'autres assyriennes.On les a imaginées à Calais et à Douvres, comme de nombreux sites ont cherché à s'approprier le prestige du héros grec et de ses travaux.Un monument important appelé aussi, piliers d'Hercule ou d'Héraclès a été situé à l'extrème nord du Danemark, à l'entrée de la Mer Baltique."
[modifier] Évolution
Avant la conquête arabe, le Rocher de Gibraltar était appelé Mont Calpé.
Le nom de Gibraltar n'apparaît qu'à compter de 711; il vient de l'arabe Jebel Tariq, la montagne de Tariq, nom du premier conquérant musulman ayant mis pied sur le rocher à compter de la Conquête musulmane de l'Espagne.
[modifier] Liens externes
La Bibliothèque de Pseudo-Apollodore : http://ugo.bratelli.free.fr/Apollodore/DetailsLivres.htm
Les histoires incroyables de Palaïphatos : http://ugo.bratelli.free.fr/Palaiphatos/PalaiphatosHistoiresIncroyables.htm