Élagabal (divinité)
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Élagabal ou El Gabal est un dieu de l'Antiquité, adoré à Émèse.
(grec Elagabalos, latin Elagabalus). Dieu solaire de la cité d'Émèse en Syrie romaine (aujourd'hui Homs) dont le culte est attesté aux IIe et IIIe siècles de notre Ere.
La cité d'Émèse, au bord de l'Oronte en Syrie centrale, n'est pas une cité très ancienne contrairement à Damas, Hama, Alep. Elle a été fondée vers le Ier s. av. J.-C. par les Arabes Hémésènes, initialement nomades. Ils ont créé un royaume hellénisé qui fut allié des Romains jusqu'à son annexion à la province de Syrie sous les Flaviens. La population d'Émèse était très probablement syrienne, avec une aristocratie d'origine arabe. Comme beaucoup d'autres Arabes du Proche-Orient dans l'Antiquité (les Ituréens de la Bekaa dont le principal sanctuaire était Héliopolis, la « Cité du Soleil » (Baalbek), les Arabes mésopotamiens de Hatra, etc.), ils vénéraient des divinités astrales, et plus particulièrement Shams, le Soleil. Le Soleil d'Émèse est connu sous le nom d'Élagabal.
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[modifier] Le nom du dieu
En raison du fréquent tabou sémitique qui déconseille ou interdit de prononcer le nom propre de la divinité, Élagabal n’est pas un nom propre mais une périphrase formée sur El (dieu) et gabal (montagne). Élagabal est donc un « Dieu-de-la-montagne », comme le Yahweh du mont Horeb (cf. l’Exode) ou le Dusarès (Dhu Sharâ, Celui du mont Sharâ) des Arabes Nabatéens. L’historien Hérodien, au IIIe s., le nomme Elaiagabal, ce qui doit reproduire fidèlement une prononciation courante en araméen.
Au Ie siècle av. J.-C.Ier s. av. J.-C. Les Hémésènes l’appelaient encore par son nom, Shams (en arabe : le Soleil), comme en témoigne le nom dynastique de Sampsigeramos porté par leurs rois. Au IIe siècle au plus tard il est appelé « Soleil Invaincu », en grec Hélios Anikètos et en latin Sol Invictus. Originaire d’Émèse selon le Liber Pontificalis, l’évêque de Rome Anicet (le pape de 155 à 166) portait son nom. Cette appellation d’« Invaincu » fait mention à la principale qualité attendue des dieux antiques : celle d’être plus puissants que le fatum, le destin. C’est ainsi que plusieurs autres dieux sont également qualifiés d’invictus, tel le dieu solaire d’origine iranienne Mithra, "Sol Invictus Mithras", surtout populaire chez les militaires.
[modifier] Le Bétyle
A partir du IIe siècle, quand la cité fut annexée à la province romaine de Syrie, des monnaies d'Émèse représentent le Bétyle d'Élagabal, pierre noire en forme de pain de sucre qui était censée héberger la divinité. L'adoration d'une pierre, nommée en Orient bétyle (beth – Il, « demeure de Dieu ») est une tradition du Proche-Orient et de l'Asie Mineure, particulièrement vivace chez les Arabes. Ces bétyles peuvent avoir plusieurs formes : irrégulières (comme l'actuelle Pierre noire de la grande mosquée de la Mecque, dont la présence dans la Kaaba est antérieure à l'Islam), cubiques chez les Nabatéens, en demi-sphère ou en pain de sucre en Syrie (comme à Adraha (Deraa), au Mont Kasios près d'Antioche, à Carrhes (Harran), ou encore à Émèse).
Le Bétyle d'Élagabal est toujours représenté avec un aigle, posé dessus au IIe et au début du IIIe s., ou apparaissant en relief sur la pierre à partir du règne d'Héliogabale (218-222). Mais le témoignage d'Hérodien est formel : le Bétyle ne portait aucune représentation, seules des irrégularités naturelles de la pierre pouvaient suggérer des images astrales. Cette pierre était de couleur noire, et mesurait sans doute environ un mètre de haut, ordre de grandeur suggéré par plusieurs représentations. C'était peut-être une très grosse météorite, puisqu'on la disait tombée du ciel, ou plus simplement un bloc de basalte. L'aigle qui lui est toujours associé sur les représentations symbolise la divinité (Hérode le Grand avait fait figurer un tel aigle au fronton du temple de Yahweh à Jérusalem).
[modifier] Le culte d'Élagabal
On n'a aucun document concernant le culte rendu à Élagabal avant 218, quand son grand-prêtre n'était autre que le jeune Varius Avitus Bassianus, 14 ans, petit-neveu de feu l'Impératrice Julia Domna (193-217). La description haute en couleurs que donne Hérodien des cérémonies présidées par ce jeune grand-prêtre permet de s'en faire une idée. Il porte une tenue qui évoque celle, connue par l'iconographie, des prêtres du temple de Bel à Palmyre, cité voisine d'Émèse. Les cérémonies comprennent des danses « autour des autels » (un rite de circumambulation autour de l'autel monumental, probablement) et de la musique sacrée.
Le temple lui-même, luxueux selon Hérodien (qui ne l'a sans doute jamais visité) se trouvait à Émèse, peut-être à l'emplacement du tell historique aujourd'hui occupé à Homs par une caserne, ou à celui de la Grande Mosquée. Les archéologues n'en ont encore rien retrouvé, pas même des éléments d'architecture. Sa façade est représentée sur des monnaies à partir du règne de Caracalla (211-217). Comme à Héliopolis-Baalbek ou à Palmyre, le sanctuaire se composait d'un péribole (parvis entouré de portiques) dans lequel se situait la cella (temple proprement dit) et un autel cubique monumental orné de niches, représenté sur des monnaies de Julia Domna. On ne sait quand a été construit cet ensemble monumental, entre le Ier et le début du IIIe siècle au plus tard.
Le Bétyle lui-même se trouvait dans l'adyton (ou Saint des Saints) de la cella, encadré de quatre parasols. Au milieu du IIIe siècle au plus tard, peut-être avant, il était enfermé dans une arche richement décorée, couverte de voiles précieux. Lors de certaines cérémonies le Bétyle était promené en procession sur un char rituel attelé de quatre chevaux, représentant le quadrige du dieu-Soleil et témoignant de l'influence grecque. Aucun être humain ne pouvait prendre place à bord du char, conduit par le grand-prêtre qui marchait devant, parfois à reculons.
Ce temple du Soleil Élagabal à Émèse était fréquenté au début du IIIe s. par de nombreux pèlerins venus de tout l'Orient, et particulièrement par les soldats de la IIIe Légion Gallica basée à Raphaena (Rafiniyyeh) près d'Émèse. Le dieu Soleil semble d'ailleurs avoir été la divinité tutélaire de cette légion.
[modifier] Élagabal à Rome
Quand le grand-prêtre Varius Avitus Bassianus fut proclamé empereur en 218 (connu sous le surnom de Élagabal), il fit transférer à Rome le Bétyle du Soleil Invaincu Élagabal. Ce Bétyle fut installé dans un premier temps à l'intérieur du palais impérial sur le mont Palatin, et, selon la formule arabe antéislamique bien connue, d'autres divinités lui furent associées pour former une triade : le Palladium, ancienne statue de Pallas Athéna transférée depuis le temple de Vesta sur le Forum romanum, et la statue de Caelestis transférée depuis son temple de Carthage, en Afrique.
Plus tard, l'empereur-prêtre fit construire ou plutôt réaménager un temple plus vaste, à l'extrémité orientale du Palatin, là où s'élevait un sanctuaire construit par ou pour la divine Faustine la Jeune (épouse de Marc-Aurèle, et ancêtre mythique de la dynastie des Sévères), et un jardin consacré au dieu syrien Adonis. Dans ce nouveau temple, l'Élagabalium, l'Histoire Auguste dit que l'empereur fit transférer d'autres divinités romaines et reliques sacrées comme les boucliers sacrés de la Regia, conservés jusque-là sur le Forum romanum. La constitution de cette triade et cette association de nombreuses divinités à la divinité majeure en un même sanctuaire correspond au schéma arabe qui est celui de la Kaaba de la Mecque avant Mahomet. Comme Élagabal associé à Pallas et Caelestis, Allah était à la Mecque associé à ses « filles » Allat, Uzza et Manat, sans compter les autres « idoles » que Mahomet expulsera de la Kaaba.
Un autre sanctuaire secondaire, fut construit pour le Soleil Invaincu Élagabal au nord de la ville, dans les jardins du Vieil Espoir. Lors d'une fête qui lui était consacrée, le Bétyle était transféré d'un temple à l'autre au cours d'une grande cérémonie populaire.
Les différentes sources dont nous disposons pour connaître les aspects du culte d'Élagabal à Rome montrent des influences multiples, romaines bien sûr, grecques, syriennes et arabes. L'empereur-prêtre semble s'être livré dans le cadre de ce culte à la prostitution sacrée (bien attestée en Orient, particulièrement en Phénicie). Il a fait célébrer à Rome des jeux et des concours en l'honneur du dieu, usage grec inconnu à Émèse auparavant. Il a créé un collège de magistrats-prêtres du Soleil Invaincu Élagabal, selon l'usage romain, et a associé le Sénat à ce culte promu religion officielle de l'Empire.
Malgré un indéniable succès populaire, la promotion de ce culte solaire à l'orientale rencontra bien des oppositions dans les milieux dirigeants de Rome, et jusque dans la famille de l'empereur, originaire pourtant elle aussi d'Émèse ou de Syrie. Le jeune empereur, âgé d'à peine 18 ans, finit par être assassiné en 222 avec sa mère Julia Soaemias et remplacé par son cousin, syrien comme lui, Alexandre Sévère (222-235).
Alexandre Sévère fit rapporter le Bétyle à Émèse, et reconsacra l'Elagabalium de Rome à Jupiter Vengeur. Le culte du Bétyle se poursuivit à Émèse. Des monnaies émises dans cette cité en 253 par l'usurpateur Uranius Antoninus reproduisent l'aspect du temple ou l'arche recouverte de voiles dans laquelle il était enfermé. En 273, selon l'Histoire Auguste, l'empereur Aurélien (270-275) en guerre contre l'usurpatrice Zénobie (271-272) fit un pèlerinage au temple du Soleil d'Émèse. Le culte d'Élagabal dura sans doute jusqu'à la christianisation de la cité au IVe siècle.
[modifier] Bibliographie
[modifier] Sources antiques
- Dion Cassius, Roman history, books 71-80, édition d'Earnest Cary, Londres (Loeb Classical Library, Harvard University Press) 2001
- Hérodien, Histoire des empereurs romains, De Marc-Aurèle à Gordien III, traduction de Denis Roques, Paris (Les Belles Lettres, collection La roue à livres) 2004
- Histoire Auguste, Vies de Macrin, Diaduménien, Héliogabale, édition de Robert Turcan, Paris (Collection des Universités de France) 1993
- Histoire Auguste, édition d'André Chastagnol, Paris (Robert Laffont, collection Bouquins) 1994
[modifier] Ouvrages contemporains
- Robert Turcan, Héliogabale ou le Sacre du Soleil, Paris (Albin Michel) 1985, et rééd.
- Paul Veyne, L'Empire gréco-romain, Seuil, 2005.
[modifier] Liens externes
- Vie d'Antonin Héliogabale d'après l'Histoire Auguste :