Claude Henri de Rouvroy de Saint-Simon
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Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825) est un économiste et un philosophe dont les idées ont eu une postérité et une influence sur la plupart des philosophes du XIXe siècle. Il est cousin éloigné du duc de Saint-Simon, célèbre mémorialiste de la cour de Louis XIV et de la Régence.
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[modifier] Biographie
Enfant plutôt turbulent, Claude Henri de Rouvroy reçut de son éducation d'un précepteur les enseignements de d'Alembert et de Rousseau.
Adepte des idées nouvelles, le jeune aristocrate s'engage à 17 ans dans l'armée de libération des États-Unis aux côtés de La Fayette et du comte de Rochambeau.
Pendant la Révolution française, abandonnant sa particule, Saint-Simon s'enrichit par la vente des biens de l'Église.
En 1798, avec l'argent ainsi gagné, il s'installe dans un appartement en face de l'École polytechnique. Sous l'influence du docteur Jean Burdin, et probablement des idéologues, il suit alors les cours de physique face à l'École polytechnique. En 1801, il épouse Alexandrine de Champgrand, qui animera son salon durant une année. Puis il déménage à proximité de l'École de Médecine, où il prend des cours de biologie et de physiologie.
Saint-Simon souhaitait en effet donner un sens commun de la science, et unifier les principes scientifiques. En 1803, après avoir organisé une souscription en l'honneur de Newton, il écrivit la lettre d'un habitant de Genève à ses contemporains. Il s'agit d'une sorte d'éloge à la science, considérée comme une nouvelle religion. Avec le savoir éclectique enregistré de ses contacts avec des scientifiques, mais surtout avec des idéologues, il bâtit une philosophie prônant le progrès de l'humanité par l'industrie.
En 1814, il prit comme secrétaire particulier Augustin Thierry, un normalien, historien. De cette époque date L'industrie (1816-1817), qui évoque déjà la question de la politique positive (terme repris par Auguste Comte plus tard).
En 1817, ce fut Auguste Comte, récemment congédié de l'École polytechnique, qui devint son secrétaire particulier, et qui collabora activement avec lui dans la rédaction d'ouvrages philosophiques et d'articles de presse.
De cette époque datent les ouvrages suivants :
- Le politique (1819)
- L'organisateur (1819-1820) : avec le goût pour l'Histoire qui lui vint récemment par la collaboration de l'historien Augustin Thierry, il eut recours à l'Histoire afin de justifier sa vision du présent, et opposa l'âge industriel à l'âge féodal.
Auguste Comte participa en tant que secrétaire à ces premières réflexions sur le passage de l'âge théologique et féodal à l'âge positif et industriel, idées qu'il détaillera dans le cours de philosophie positive entre 1830 et 1842. Cette fameuse loi des trois états aura une influence considérable sur la société française jusqu’à nos jours.
En 1824, Auguste Comte, agacé par les manières aristocratiques de Saint-Simon, le quitta. Léon Halévy le remplaça comme secrétaire. L'année suivante, Saint-Simon termina son œuvre, qu'il appela le « Nouveau christianisme ».
Beaucoup de ces thèmes construiront la doctrine socialiste après avoir nourri un mouvement idéologique qui le vénérera comme s'il avait été un véritable prophète : le saint-simonisme.
Il mourut le 19 mai 1825, presque inconnu. Ses obsèques, purement civiles, eurent lieu au cimetière du Père-Lachaise le 22 mai. Sa famille n'était pas présente. Plusieurs de ses amis ou anciens amis étaient là : Olinde Rodrigues, Auguste Comte, Augustin Thierry, Barthélemy Prosper Enfantin. Le Dr Bailly et Léon Halévy prononcèrent chacun un discours. La presse se fit l'écho de l'événement, (le Constitutionnel, le Courrier des Pays-Bas, le Globe).
Olinde Rodriguès réunit quelques amis et fonda, avec Enfantin, le journal le Producteur, journal philosophique de l'industrie, des sciences, et des Beaux-Arts.
[modifier] Doctrine
La doctrine de Saint-Simon est exposée dans différents ouvrages :
- Lettre d'un habitant de Genève à ses contemporains (1803),
- L'industrie (1816-1817),
- Le politique (1819),
- L'organisateur (1819-1820),
- Du système industriel, 1822
- Catéchisme des industriels (1823-1824),
- Nouveau christianisme (1825).
La doctrine de Saint-Simon élève une sorte de « culte » aux scientifiques, en particulier à Isaac Newton, qui a établi les lois de la gravitation. Pour Saint-Simon, Dieu est en quelque sorte remplacé par la gravitation universelle. Cette thèse se fait sentir dès le début de son œuvre (une expérience très simple consistant à placer un aimant sur une surface métallique verticale montre que l'aimant ne tombe pas, donc que la force de gravitation n'est pas la seule force de l'univers).
On peut considérer que Saint-Simon est en quelque sorte l'héritier, avec deux siècles de retard, de la théorie de l'héliocentrisme et de la révolution copernicienne, qui se développa aux XVIIe et au XVIIIe siècles.
La doctrine s'appuie sur la notion de réseau et de capacité. La relation entre les êtres humains dépend de la capacité du réseau à établir le lien. Elle procède par métaphore avec les réseaux organiques des êtres humains (réseau sanguin, système nerveux...), selon les idées en vogue en physiologie à cette époque. C'est Saint-Simon qui est à l'origine de la philosophie des réseaux selon Pierre Musso[1].
Dès les années 1820, Saint-Simon voit dans le début de l'industrialisation le moteur du progrès social.
Pragmatique, il prône un mode de gouvernement contrôlé par un conseil formé de savants, d’artistes, d’artisans et de chefs d’entreprise et dominé par l'économie qu'il convient de planifier pour créer des richesses et faire progresser le niveau de vie. Il appartient aux capitalistes d'œuvrer à l'élévation matérielle et morale du prolétariat.
Les deux dernières œuvres font apparaître une certaine religiosité, d'après Olivier Pétré Grenouilleau.
L'appellation de nouveau christianisme est en réalité trompeuse, car son système ne repose que sur des considérations scientifiques ou sociales, sans référence au religieux. On peut caractériser la philosophie de Saint-Simon comme un rationalisme ou un scientisme, dans la mesure où elle s'appuie exclusivement sur des concepts scientifiques. Cette philosophie a influencé les théories des valeurs d'échange, tant dans le socialisme que dans le libéralisme. On a parlé de « fétichisation » de la valeur d'échange dans le marxisme.
[modifier] Influences
Les idées de Saint-Simon ont influencé, au moins indirectement, la plupart des courants philosophiques matérialistes idéologiques, ou utopiques du XIXe siècle en France et en Europe, positivisme, libéralisme et socialisme. Parmi les personnages qui ont été directement influencés, on notera :
- Augustin Thierry, normalien, a été le secrétaire de Saint-Simon de 1814 à 1817.
- Auguste Comte, polytechnicien (congédié en 1816), a aussi été secrétaire de Saint-Simon de 1817 à 1824 ; Auguste Comte a commencé à élaborer la loi des trois états avec Saint-Simon (états théologique, métaphysique, positif).
- Prosper Enfantin, polytechnicien, a repris et amplifié la doctrine saint-simonienne. Enfantin était d'une tendance libérale. Il a diffusé la doctrine dans les milieux des compagnies de chemins de fer. Enfantin a été le premier dirigeant de la Compagnie de chemin de fer Paris-Lyon-Méditerranée]] ("PLM").
- Saint-Amand Bazard était plutôt d'une tendance qu’on pourrait comprendre comme (pré-) socialiste. Il s'est séparé d'Enfantin vers la fin 1831. Certaines personnes disent que ce sont ces tendances du saint-simonisme qui ont ouvert la voie au marxisme, d'autres sont plutôt de l'avis que le saint-simonisme n'a rien à voir avec le marxisme.
- Karl Marx a repris certaines idées de Saint-Simon dans ses théories matérialistes.
- L'influence de Saint-Simon sur les polytechniciens s'est fait sentir jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, et encore de nos jours.
- La création des banques de dépôt au XIXe siècle a été d'inspiration saint-simonienne, du Crédit lyonnais d'Henri Germain, à la Société générale, jusqu’à la création de la BNP en 1966.
- Saint-Simon a eu sa statue à Moscou pendant la période soviétique, à côté de celle de Lénine.
[modifier] Postérité
[modifier] Dans les sciences et la pensée philosophique
La première partie de son œuvre, dans laquelle il assimile Dieu à la force de gravitation universelle[2] ne trouve aujourd'hui qu'un écho très amoindri, puisqu'elle peut choquer autant les esprits religieux que les esprits athées, mais on peut la rapprocher de la célèbre formule Deus sive Natura de Spinoza.
Saint-Simon est communément considéré, avec Proudhon et Fourier, comme appartenant au courant du socialisme utopique. En fait, il est difficile de classer sa pensée, tant il eut d'héritiers pour se réclamer de son système grandiose, à la fois du côté libéral et du côté socialiste.
Il est inexact d'attribuer à Saint-Simon l'introduction de la notion de classe sociale, mettant aux prises exploiteurs et exploités. Cette idée arrivera progressivement avec ses successeurs dans la branche socialiste comme Saint-Amand Bazard ou Karl Marx.
Étant donné la genèse de ses idées (école des idéologues, sciences positives), il serait plus exact de considérer Saint-Simon comme un idéologue.
La philosophie de Saint-Simon, que Pierre Musso appelle la philosophie des réseaux, eut une importance très significative dans plusieurs domaines : transports, théorie de la connaissance, économie, sociologie, télécommunications.
[modifier] Dans la colonisation
Les idées du comte de Saint-Simon ont eu une influence très importante dans la colonialisation à travers Barthélemy Prosper Enfantin et ses successeurs. Dans les années 1880 naquit un cercle Saint-Simon, qui rassemblait des personnalités voulant « maintenir et étendre l'influence de la France par la propagation de sa langue ». Une certaine idéologie coloniale française a ainsi été critiquée, étant donné certains excès du colonialisme.
[modifier] Bibliographie
- Henri Gouhier, historien des philosophes français, membre de l'Académie française, a consacré plusieurs ouvrages à Saint-Simon.
- Olivier Pétré-Grenouilleau, Saint-Simon, l'utopie ou la raison en actes, 2001, Payot, (ISBN 2 228 89433 8).
- Pierre Musso, télécommunications et philosophie des réseaux, 1998.
- Pierre Musso, La religion du monde industriel. Analyse de la pensée de Saint-Simon, éditions de l'Aube, 2006
- Henri Desroche, Saint-Simon. Le nouveau christianisme et les Écrits sur la religion, Éd. du Seuil, 1969, 192 p.
[modifier] Articles connexes
- Sur le saint-simonisme
- Sur la postérité philosophique
- Sur les rapports entre foi et raison
[modifier] Notes
- ↑ Pierre Musso, télécommunications et philosophie des réseaux
- ↑ Les trois autres forces fondamentales , l'électromagnétisme, l'interaction faible, et l'interaction forte, étaient évidemment inconnues de Saint Simon.